Présentes toi
Angélique Jard Henry, développeuse depuis 2006 diplômée de Polytech’Grenoble.
Membre organisatrice de Duchess France www.duchess-france.fr une association destinée à valoriser et promouvoir les développeuses et les femmes avec des profils technique Animatrice de MixTeen https://mixteen.org/ une association d’apprentissage du code aux enfants.
Maman de deux garçons très énergivores, en cours d’apprentissage de mes propres limites de maman.
Bassiste dans un groupe pop/rock “TaffBreak”, éleveuse de tomates à mes heures perdues et par conséquent avec une conscience accrue de la météo, du climat et plus particulièrement des périodes de canicule et de sécheresse : vous m’entendrez sauter de joie quand il pleut.
Féministe par la force des choses, je l’assume que depuis que j’ai compris que la définition c’était la lutte pour l’égalité des genres. Sujet auquel je me suis intéressée à la fois parce que c’est ce qui est attendu des développeuses par leurs collègues masculins et que t’as pas vraiment le choix… et aussi pour comprendre les injustices rencontrées. J’ai grand plaisir à débattre du sujet avec les consciences éveillées, je n’ai par contre pas l’énergie nécessaire pour débattre avec les diversito-sceptiques.
Convaincue des bienfaits de l’Open Source pour notre industrie et au delà, contributrice à
Jenkins et organisatrice de la communauté de contributrices au site Duchess France
En quelques mots, quel est ton rôle aujourd’hui ?
Je suis en train de changer d’entreprise, dans tous les cas je suis “Software Engineer” travaillant en full remote depuis mon domicile ou un espace de coworking. Je développe, conçoit et fait la maintenance d’applications en production. En général je participe aussi pas mal à l’outillage autour du développement et de la production: intégration continue, déploiement continue, tableau de bord des métriques de production, tests de performance. De par mon expérience senior voir très senior, j’aime aussi accompagner les juniors dans leur progression technique et professionnelle.
Quel a été ton parcours ?
J’ai commencé mon orientation en seconde, à Narbonne, en prenant un bac S et une option facultative “Informatique”. A partir de ce moment, j’ai basculé dans un environnement massivement masculin. Je me rappelle qu’on était que 3 filles, et que pour le sport comme c’était non mixte on était regroupées avec des classes très féminines dont je ne connaissais personne.
Puis j’ai continué dans la lancée avec un bac S Option Technologie Industrielle (qui s’est ensuite appelé “Sciences de l’Ingénieur”) je crois que ma matière préférée alors c’était l’automatisme, et les diagrammes d’état ou alors la mécanique quand il fallait dessiner les pièces en 3 dimensions. Au moment de l’orientation post bac, je voulais rapidement “gagner ma vie toute seule”. Du coup, les conseils de mon prof de physique/chimie qui me disait d’aller “en prépa” m’ont paru très flous à cette époque et être ingénieure me paraissait totalement inatteignable, c’était pour des gens bien plus intelligents ! Je me suis plutôt inscrite en IUT d’informatique à Montpellier avec l’idée de continuer les arts du spectacle en
loisir en parallèle🤹.
A l’IUT j’ai découvert l’informatique sous le capot et je me suis régalée, j’avais de très bonnes notes sans pour autant être major de promo. J’ai eu une chance incroyable de côtoyer des personnes en reconversion qui suivaient le cursus de l’IUT via l’ANPE et qui ont été de très bon conseils: Ils m’ont conseillé de continuer vu mes notes et de tenter des écoles d’Ingénieur tant que j’étais dans la lancée des études. J’ai donc postulé à l’INSA de Toulouse, Polytech’Montpellier et découvrant le réseau Polytech, j’ai aussi postulé à Polytech’Grenoble dont le programme me plaisait vraiment beaucoup. Mon expérience de l’INSA de Toulouse a été catastrophique: on s’est perdu sur le périphérique et je suis arrivée avec plus d’une heure de retard pour l’écrit. Sans surprise je n’ai pas été prise. Polytech’Montpellier j’ai été prise assez rapidement sur dossier, mais comme je préférais le contenu de Polytech’Grenoble j’ai passé l’entretien et attendu… jusqu’au 29 août où j’ai eu la place pour une rentrée au 3 ou 4 septembre !
Le premier mois j’ai cru que je m’étais trompée et que je n’allais pas pouvoir suivre, le professeurs de mathématiques qui était censé faire une mise à niveau, nous à balancé un programme de prépa auquel je n’avais aucune notion dans mes bagages. Et quand des camarades lui ont demandé de ré-expliquer, il a demandé qui n’avait pas fait prépa – un petit tiers de l’assemblée– il s’est fendu d’un air totalement hautain et nous a dit: “Vous trouvez que ça va trop vite ? Alors accrochez vous parce que ça va aller encore plus vite !”. Heureusement c’est vite passé à la logique et à l’informatique et de nouveau j’ai eu de très bonnes notes, voire même de meilleures notes que la plupart des personnes issues de prépa…. Petite revanche personnelle. C’était dense en horaires et en travail personnel, mais j’y ai rencontré des personnes avec qui on a tissé des liens très forts, dont un que j’ai épousé quelques années plus tard.
Mon diplôme d’Ingénieur en poche, j’ai cherché du travail pendant “l’éclatement de la bulle Internet”. L’entreprise dans laquelle j’avais fait mon stage voulait m’embaucher, mais à un salaire tellement bas pour un diplôme d’Ingénieur qu’après une longue hésitation j’ai refusé . Et finalement j’ai trouvé un poste chez Worldline à Lyon: avec mon mari nous avons fait nos bagages, rempli la twingo de cartons et quitté Grenoble pour Lyon.
Je suis restée 12 ans chez Worldline, j’ai essayé pas mal de choses du développement mobile au script perl en faisant un petit crochet par la gestion de projet pour terminer au poste “d’architecte de production” c’est à dire d’experte technique transverse sur un département. J’aime à dire que dans cette entreprise j’y ai fait plus de projets que d’années. J’ai développé la première version iPhone d’une banque Française très célèbre, puis j’ai fait une pause de 3 mois de congés maternité pour revenir développer la même application sur Andoid. J’ai eu l’occasion de participer à des grands projets grand public à très forte affluence en faisant de la big data avant que le mot ne soit inventé. J’ai aussi participé à des projets très sécurisés avec chiffrement et durant lesquels j’ai pu découvrir des protocoles assez rare comme le principe de cérémonie des clefs. Worldline c’est une entreprise dont le slogan était “build and run” c’est-à-dire une entreprise dans laquelle les développeurs sont aussi mainteneurs de la production, et je crois que c’est un équilibre qui me correspond très bien. Je suis du genre à aimer réparer les choses, que ce soient des fuites mémoire ou des problèmes de performances ou encore des failles de sécurité, tout en aimant aussi coder des nouvelles fonctionnalités. J’ai rencontré des personnes qui ont boosté ma carrière, qui ont vu en moi de l’expertise technique au moment où je ne l’envisageait pas. J’ai fait partie de la filière expert de Wordline, puis animé pendant quelques années un “labs” c’est-à dire un temps libre pour les développeuses et développeurs qui le souhaitent pour créer des outils ou s’autoformer en dehors de projets clients. Worldline m’a aussi permise de découvrir l’univers des conférences en France et au delà comme Devoxx Anvers ou MiXiT. En fin de parcours chez Worldline j’étais l’experte technique pour tout un département, c’est à dire 3 à 4 équipes de développement. Garante de la mise en place des projets, de la qualité et de la qualité de la production, ce qui s’accompagne aussi de la formation et l’accompagnement des développeurs et développeurs dans les équipes.
J’ai depuis longtemps une curiosité et une forte attirance pour l’Open Source. Mon PC personnel est sur Linux depuis l’IUT, j’ai imaginé un moment contribuer à Tux Guitar mais sans vraiment y arriver. Donc quand j’ai deux amis qui ont toqué à la porte en me demandant si ça me dirait de contribuer à l’écosystème Jenkins en rejoignant CloudBees mon coeur a bondi. La contribution Open Source ça m’avait toujours intriguée et attirée mais je suis du genre à aimer le grand air, et le weekend j’ai besoin de sortir voir la nature et faire des trucs fun. Et puis je suis maman de deux enfants, j’ai été maman relativement tôt pour a catégories socioprofessionnelle et jusque très récemment je n’avais pas plus d’une demi heure de tranquillité à gauche et à droite: à peine le temps d’allumer un pc, et alors comment coder quand on est interrompue toutes les 5 minutes par des cris ou des demandes ? Donc cette possibilité de faire de l’Open Source et de découvrir cet univers mystérieux sur les heures de travail a vraiment été une belle aventure ! J’ai principalement travaillé sur des plugins propriétaires de Jenkins, mais j’ai pu aussi faire de belles contributions Open Source dans le coeur même de Jenkins dont je suis très fière. J’y ai aussi découvert le
fonctionnement d’une communauté Open Source, j’y ai rencontré des développeurs et collègues brillants et attentionnés qui m’ont permis de grandir et de traverser des tempêtes. J’y ai croisée aussi une Product Owner formidable, un nouveau rôle modèle pour moi dans l’engagement féministe et anti raciste.
En bonus, grâce à la communauté active de Jenkins j’ai eu l’honneur de participer à SheCodeAfrica https://shecodeafrica.org/ et faire du support technique aux femmes africaines qui ont participé au programme pour faire des contributions à Jenkins. Encore une fois sur mes heures de travail, sinon je n’aurais clairement pas pu le faire.
En démarrant avec CloudBees, j’ai aussi basculé dans le full remote 6 mois avant le Covid: j’y avais posément réfléchi, et sauté le pas à ce moment-là. Et je dois dire que depuis je n’ai absolument aucune envie de retourner 100% bureau à Lyon ! Il faut dire que j’habite à 30 kilomètres et que les bouchons de l’autoroute ne me manquent pas du tout, pas plus que les TER bondés qui terminent leur service trop tôt pour me permettre pas de rentrer chez moi après un afterwork. A noter que travailler en full remote ne veut pas forcément dire travailler à 100% du domicile, je vais régulièrement dans un espace de coworking à 10min de chez moi.
Et aujourd’hui je suis sur le point de démarrer une nouvelle aventure Open Source, j’espère que ça va bien se passer🤞🤞!
Quelles compétences techniques sont essentielles pour réussir dans ton métier ?
Git est indispensable. Que vous soyez développeuse ou ingénieure système et réseaux ou encore que vous écriviez la documentation technique.
J’aime comparer l’informatique à la médecine car ça parle à tout le monde. En médecine il y a les spécialistes qui sont très expert dans un domaine, comme chirurgien des genoux, et il y a les médecins généralistes qui ont une connaissance plus globale mais moins approfondie et qui font le lien entre les différentes expertises. Je me considère comme une médecin généraliste de l’informatique.
Par conséquent, comme je suis plutôt en expertise transversale, j’ai tout plein d’outils dans ma sacoche. En voici quelques uns: j’ai fait principalement du Java / Spring en développement côté serveur, je manipule beaucoup Docker et plus récemment j’ai beaucoup approfondi Kubernetes. Je navigue aisément en ligne de commande linux et utilise grep régulièrement, vi quotidiennement et awk de façon ponctuelle. Et côté front-end j’ai fait principalement du backbonejs et un peu d’emberjs.
Peux-tu nous donner un exemple de défi technique que tu as relevé avec succès ?
Cette année j’ai appris Kubernetes toute seule et ce n’était pas une mince affaire !
J’ai tenté d’avoir une formation en présentiel ou en visio à deux reprises dans deux entreprises mais ça n’entrait pas dans les budgets. J’ai donc opté pour des formations en ligne en autonomie, ce dont j’ai très peu l’habitude.
En temps normal, je regarde peu de vidéo et j’écoute peu de podcasts, quand j’écoute de la musique c’est principalement pour travailler ma basse. Quand je regarde des vidéos sur linkedIn ou autre c’est majoritairement avec les sous titres et sans son: donc ce n’est vraiment pas mon mode de fonctionnement nominal. Ensuite si j’ai un clavier sous les mains je vais avoir du mal à ne pas l’utiliser, et mon esprit commence à penser à autre chose. Quand je suis en formation en présentiel, habituellement je n’ai pas de PC sous la main et je gribouille sur un cahier, ça me permet de rester concentrée sur la voix. Mais en vidéo pré enregistrée ça ne fait pas le même effet parce que le clavier est trop près de moi ! J’ai dû trouver quelques techniques pour arrêter de recommencer 10 fois une vidéo parce que j’ai décroché. Par exemple pour les moments très théoriques j’ai mis les vidéos sur mon téléphone en utilisant un brassard de sport pour avoir les mains libres et j’ai utilisé un casque osseux pour avoir une qualité de son optimale, puis je suis allée occuper mes mains: désherber les fraisiers ou faire des machines à laver. Et les jours de cowork je me mettais debout à 1 mètre du clavier, je devais avoir l’air étrange, j’ai dû expliquer que je faisais une formation parce que ça a surpris tout le monde.
Par la suite j’ai complété cette formation par beaucoup de pratique et de lecture de la documentation officielle et maintenant je ne dirais pas que je maîtrise mais au moins je suis à l’aise pour naviguer dans les clusters, les pods et les namespaces.
Comment géres-tu les stéréotypes de genre dans l’IT ?
Mal… en plus je crois que ça fait 4 ans que j’ai pas travaillé avec une femme, donc j’aurais du mal à dire.
Quels outils ou langages de programmation recommandes-tu pour ceux et celles qui débutent dans le développement ?
Utilisez un IDE adapté à votre langage de programmation et ajoutez les plugins qui vous semblent adaptés: vous gagnerez un temps énorme à éviter les fautes de syntaxe. Pour Java j’utilise principalement IntelliJ, pour les scripts le yaml ou docker j’utilise principalement VSCode. Et si jamais vous faites du kubernetes, ça vaut vraiment le coup d’investir sur k9s c’est un super outil. Après je suis très adepte de la ligne de commande, donc je n’ai pas d’outil en particulier pour git par exemple, j’utilise le shell linux et vi. Ah si et pour le shell j’aime beaucoup oh my zsh !
Quel message as-tu pour les filles/femmes qui aspirent à rejoindre la tech ?
Il y a beaucoup d’argent à gagner, y’ a pas moyen de laisser ça qu’aux gars😀! Et puis avec les année d’expérience qui augmentent, votre profil sera de plus en plus recherchée et vous aurez de plus en plus la possibilité de choisir l’entreprise sur deux grands axes en fonction de ce qui vous motive:
- le confort de vie : comme exemple non exhaustifs on peut trouver le télétravail, la semaine à 4 jours, les horaires flexibles, plus de congés que le minimum légal, travail de n’importe quel pays 6 mois par an, un salaire élevé.
- les domaines qui vous correspondent : comme exemple non exhaustifs je citerai le climat, la lutte contre *phobies, l’open source, l’accessibilité, le médical, le social, la lutte contre la corruption ou les lobbies.
Comment perçois-tu l’évolution de la diversité des genres dans la tech ?
Ça stagne, il y a vraiment une grosse résistance, des gens “qui ne voient pas pourquoi on forcerait les femmes à un métier qu’elles ne veulent pas faire”, sauf que si ces personnes faisaient l’effort de consulter la data: c’est à dire lire quelques études et analyses sociologiques, elles verraient que c’est pas que les femmes veulent pas faire ce métier, mais que plutôt elles en sont exclues à tous les stades de la scolarité et de la carrière.
Mais d’un autre côté on en parle beaucoup plus et il y a aussi beaucoup plus d’affirmation du côté des femmes en tout cas. Donc je pense que les lignes sont en train de bouger quand même. Je suis admirative de la nouvelle génération de jeunes femmes qui débarque et ne mâchent pas leur mots ni se laissent faire: souvent je me dit que les personnes bloquées sur leur humour sexiste il va falloir qu’ils s’accrochent parce que ça va secouer !
Je suis une grande idéaliste et je pense que les entreprises qui ne vont pas embrasser la diversité, pour de vrai pas juste en image externe, vont rester coincées dans le passé et petit à petit s’écrouler et disparaître. Statistiquement parlant, étant donné que toutes les études montrent que des équipes et des directions d’entreprises plus diverses sont plus performantes, si on pousse cette théorie au bout alors les entreprises plus réfractaires à la diversité ,et donc les moins performantes, devraient s’auto saboter.
Comment encourages-tu les étudiantes / femmes en reconversion dans la tech ?
Je n’ai pas eu trop l’occasion d’en croiser dernièrement, les dernières entreprises dans lesquelle j’ai travaillé étaient réticentes à engager des juniors. Lorsque j’en croise, je leur dit que même les senior ne savent pas tout et continuent de poser beaucoup de questions, de se former et de s’informer. Un bon environnement pour progresser et s’épanouir c’est un environnement où les questions sont les bienvenues.
Quel est l’importance de ton métier dans le monde moderne ?
J’aime à croire que je facilite la vie des gens. Je sais que pour beaucoup de personne l’informatique peut faire peur à cause de ses algorithmes mystérieux et ses bugs. Mais j’aime à croire que d’un autre côté ça permet aussi de faciliter des regroupements d’information, de simplifier certaines démarches et de retirer les biais humains de certaines applications de règles.
Je regrette un peu que les algorithmes et applications d’état ne soient pas systématiquement Open Source: l’état c’est nous et non seulement les citoyens devraient avoir un droit de regard, mais en plus je suis sûre qu’il pourrait y avoir des contributions de qualité et de l’innovation dans les outils administratifs. Attention je ne parle pas d’exposer les données personnelles des citoyens, mais bien des algorithmes, du code qui est exécuté. Imaginez par exemple ces centaines de milliers de développeuse et développeurs qui sont à la fois citoyens français et parents, et qui pourraient contribuer à faire de parcours sup un outil transparent et avec une couverture de tests digne de la Nasa. Imaginez que les algorithmes de calcul des impôts soient Open Source et que les citoyens puissent être force de proposition pour des impôts plus justes à base de tests fonctionnels exécutables. Cela permettrait de rétablir la confiance entre les humains et l’informatique, je pense.
Comment intégres-tu la diversité des genres dans vos interactions professionnelles ?
BOF
Quels sont les défis que tu as rencontrés en tant que femme dans un domaine masculin et comment les as-tu surmontés ?
Mon plus gros défi à l’heure actuelle c’est le paradoxe de l’hyper visibilité / l’invisibilisation: je suis hyper visible car je progresse dans une carrière technique et je suis souvent parmi les rares femmes présentes. Je ressens une certaine pression que les erreurs que je vais faire vont peser sur toutes les femmes car les généralisation dans ce cas là vont très vite. Autre effet de mon hyper visibilité: dès qu’il y a un sujet “de genre” on se retourne vers moi et s’attend à ce que je sois la sociologue de service. Ca m’arrive aussi fréquemment d’avoir l’impression d’être une extra-terrestre, un truc qui n’existe que dans les contes pour enfants “Whaa tu comprends quand je parle de kubernetes et tu es une femme ! Super !” ou bien encore “Depuis que tu as rejoint l’équipe y a un gros changement ! Ah bon, lequel ? Bah t’es une femme.” J’ai encore le souvenir du malaise ressenti lorsqu’un de mes ancien collègues à pris la stagiaire de son équipe par le bras et il l’a limite traînée de force jusqu’à moi en me disant “Regarde on a une fille dans notre équipe, t’es contente hein !!”.
Et d’un autre côté… tout ce qui est réalisation technique et qui compte pour la carrière passe à la trappe. On m’oublie pour fêter les succès auxquels j’ai massivement participé, on m’oublie quand il s’agit de parler d’une co-organisation d’évènement devant la totalité des employés de l’entreprise, on m’oublie quand il s’agit des promotions…. Alors c’est pas 100% du temps, sinon j’aurais quitté l’IT, mais ça reste quand même très fréquent, bien plus que pour mes collègues masculin avec qui j’en discute.
Ma défense actuelle pour me prémunir de cette invisibilisation technique c’est l’écrit: je fais des statuts sur mes avancées auprès de mon manager, dans l’outil d’entretien de performance annuelle je prends bien le temps pour lister un maximum de réalisations, je remonte l’historique git, jira ou email pour rien oublier, même des choses qui semblent “petites”, parce que si moi je les oublies, personne ne va s’en rappeler à ma place. J’essaye d’écrire un peu des posts s’ il y a un blog dans l’entreprise. Il faut aussi essayer de s’entourer de personnes qui sont des sponsors, et vont pouvoir citer votre nom à gauche et à droite dans des réunions. Mais sois même on a peu d’influence sur la quantité de sponsors qui nous entourent, c’est plus une histoire de chance. Disons que si vous avez la chance de côtoyer un ou des sponsors, c’est bien de les chouchouter un peu.
Et ma seconde technique c’est que je copie le comportement des gars sur l’esquive du glue work (ref https://noidea.dog/glue ). Je m’explique. J’ai tendance à vouloir aider, faire ma part du travail etc… donc quand y a des tâches annexes qui sont un “travail nécessaire mais pas très fun” j’avais tendance à me proposer pour peu qu’il y ai quelques secondes de silence, pour “prendre ma part” des corvées. Mais en fait en face, non seulement les manager qui n’ont pas travaillé sur leur biais de genre vont très facilement demander aux femmes de l’équipe de faire ces tâches non valorisantes pour la carrière, mais en plus la plupart des gars n’ont vraiment aucun scrupules à dire “non j’ai pas envie, je ferais pas” ou faire le mort pour esquiver “leur part de corvée”. Donc maintenant, sur les tâches du board j’essaye de prendre majoritairement des tâches “de carrière” comme des nouvelles features ou des analyses techniques. Et en réunion,c’est encore un effort de rester silencieuse, mais je laisse à la personne chargée de la décision de faire son choix parmi les poissons rouges qui esquivent la tâche ! Et si c’est moi deux fois d’affilée, je le dis tout haut “je peux, mais je l’ai fait la dernière fois et j’estime que ça devrait tourner un peu plus dans l’équipe”. A Rome, parfois il faut faire comme les Romain !
Peux-tu partager des initiatives visant à promouvoir la diversité dans la tech auxquelles tu as contribué ?
Cool, je vais pouvoir parler de mon engagement auprès de Duchess et MixTeen😀.
J’ai très envie de changer complètement le monde actuel, mais il y a beaucoup de travail et je constate que je n’ai pas du tout la force d’aller faire changer d’avis les diversito-sceptiques. Je suis admirative de celles et ceux qui arrivent à le faire et c’est un travail nécessaire mais mon énergie je la concentre ailleurs: j’ai choisi mon combat. Ma façon de faire avancer les choses c’est donc de me mettre au services des femmes qui sont déjà dans la tech ou qui arrivent dans la tech que ce soit par la porte d’entrée ou par la
fenêtre. Et pour ça Duchess est un bon moyen d’action puisque c’est un réseau assez connu et particulièrement des écoles de reconversions. Nous sommes toute une équipe d’organisatrices et il y a beaucoup de sujets et d’actions mais je vais détailler les sujets sur lesquels j’interviens.
Le premier axe sur lequel je travaille c’est mettre en lumière les femmes dans la page https://www.duchess-france.fr/des-oratrices.html. J’essaye de guetter quand sortent les vidéo notamment des conférences, et de demander à la communauté de “dénoncer” leurs collègues. Régulièrement je met à jour cette page avec une liste de ressources qui est publique et permet aux organisatrices et organisateurs de conférences de trouver des idées pour aller chercher des oratrices.
Le second axe c’est le réseautage: je participe activement à la modération et l’organisation du Slack Duchess sur lequel on a un peu plus de 600 personnes. L’idée c’est que chacune puisse trouver du soutien dans les moments difficiles, fêter les petits comme les grands succès, puissent se passer des astuces ou s’entraider sur de la technique. Il y a une bonne partie autour de la carrière et de l’emploi qui va de la relecture de CV aux conseils de carrière ou aux questions de droits du travail. Il y a aussi pas mal de partage de publications féministes.
Et plus récemment nous avons aussi ajouté un point d’entrée pour les offres de stage, d’alternance ou de premier emploi car le plus difficile pour les femmes nouvellement arrivées c’est le démarrage. Une fois que les 2 ou 3 années d’expériences sont acquises ça se passe beaucoup mieux, mais pour ces premières 2 ou 3 années il faut trouver une entreprise qui a l’envie et les moyens de prendre des juniors issues de la reconversion ou pas, et ce n’est pas facile.
Enfin j’essaye aussi de participer aux diverses demandes de partenariat, comme par exemple les offres de formations ou les partenariats avec les conférences.
MixTeen c’est une association dont le but est de faire découvrir le code aux enfants de façon ludique, et évidemment quelque soit le genre. Le nom de l’association tient à sa naissance : c’est pendant une édition de la conférence MiXiT que l’idée est venue de faire des goûter du code et il y a toujours une édition de MixTeen pendant les jours de conférences MiXiT avec un applaudissement des enfants dans l’amphithéâtre des keynotes.
Te vois-tu toujours dans la tech dans 5 ans ?
Je crois que oui
Quel poste souhaites-tu occuper dans 10 ans ?
Sans hésiter Principal software engineer ou tech lead, en tout cas un poste qui permet de rester une main dans le code l’autre dans la production tout en ayant une évolution de carrière.
As-tu identifié une méthode, une démarche pour briser le plafond de verre dans la tech ?
Non pour l’instant c’est mon crâne qui a des bosses. Aïe.
Selon toi, peut-on atteindre une parité dans la tech ? Si oui quelle année ? Si non, pourquoi ?
Je ne pense pas qu’on puisse attendre la parité dans la tech. Déjà parce que les problèmes de climat et de minerai rare vont nous rattraper avant: je ne suis franchement pas sûre que “la tech” soit encore là dans 200 ans. Pour en revenir à la question, la parité est un objectif noble mais demande des changements profonds et structurels de la société qui ne peuvent se faire qu’avec le passage de plusieurs générations. J’ai l’esprit pratique et aime plutôt partir de l’état actuel des choses. Je pense que l’urgence aujourd’hui c’est que tout le monde se sente bien dans la tech: les femmes comme toutes les autres personnes sous représentées. Et rien que pour ça il y a déjà pas mal de boulot.
Quelle est ta passion en dehors de la tech ?
Les tomates ou la basse électrique ? Dur de choisir…
La musique m’accompagne depuis longtemps. J’ai commencé par la guitare sèche quand j’étais ado parce qu’il y en avait une à la maison. Il n’y avait pas Internet à l’époque donc j’ai appris avec des livres, en grande partie grâce au diapason rouge qui est un recueil de chansons populaires avec des accords simplifiés très connus dans l’univers scout et colonie de vacances. Puis un jour dans l’entreprise ou je travaillais, des personnes ont voulu monter un groupe, et je me suis inscrite direct. Et là on s’est retrouvés un peu bêtes avec plein de guitares et aucun autre instrument ! Un gars à troqué sa guitare contre la batterie, moi j’ai troqué ma guitare contre la basse, la légende raconte que j’aurais dit “ok mais c’est que quelque temps pour dépanner” mais je l’ai plus jamais lâchée ! Ça fait 15 ans je crois. De ce groupe de collègues est né le groupe TaffBreak. Cette année j’ai décidé de passer un nouveau cap et je me suis inscrite dans une école de musique.
Le jardinage et les tomates c’est beaucoup plus récent, déjà parce qu’il faut un jardin et qu’on a habité un appartement pendant 10 ans. J’ai grandi en passant du temps l’été chez mes grand parents qui étaient tous les quatre à la retraite et férus de jardinage donc ça me trottait en tâche de fond dans la tête je pense. Mais le vrai déclic, ça a été le premier confinement: lors du premier confinement où on avait du mal à trouver de la farine et des œufs, je me suis mise à planter pleins de trucs : des noyaux d’avocats, du gingembre, les graines de tomates cerises. Depuis j’agrandi chaque année la taille du potager, et je me mets à garder les graines pour semer l’année d’après les tomates, les poivrons, les courges et les courgettes. Dans un coin de ma tête je me dit que si jamais il y a une guerre climatique et une pénurie de nourriture, apprendre aujourd’hui à produire un peu permettra de passer à l’échelle et de faire une production plus importante si besoin.
Prends-tu déjà la parole sur de sujet tech / digital ? Si non souhaites-tu passer à l’action ?
Pas vraiment et c’est un choix réfléchi de ma part.
Pour commencer je ne suis pas une grande voyageuse, j’aime bien aller à une ou deux conférences par an mais pas beaucoup plus. Je ne me vois pas voyager tous les mois ou plusieurs fois par mois comme je vois certaines personnes le faire: je suis vraiment bien chez moi. Ensuite je ne suis pas du tout convaincue que ça m’amènerait du bonheur vis à vis de ma personnalité. Je suis beaucoup plus à l’aise à l’écrit qu’en personne, j’ai des périodes pendant lesquelles j’ai un grand besoin de solitude. Je n’aime pas trop les endroits trop peuplés, encore moins après le Covid.
Autre point important : je n’ai que très peu de temps personnel, avec les contraintes familiales et mes passions je n’ai basiquement que les horaires de bureau pour me former ou préparer des présentations. Prendre la parole en public, c’est beaucoup de préparation que ce soit pour les call for paper ou la présentation en elle-même. Pas mal de stress et de prise de risque que chaque mot soit inspecté à la loupe. Je ne suis pas non plus à l’aise avec les personnes qui viennent imposer leur point de vue en fin de session ou après pendant le reste de la co nférence, et je n’ai pas forcément envie de passer sous la critique des participantes et des participants. Quand je vois certaines rock star de notre milieu et ce que particulièrement les femmes endurent, j’ai l’impression de ne pas être câblée pour tout ça.
Enfin je pense qu’il y a plusieurs façons de faire carrière, prendre la parole en conférence ou interview c’est un aspect, certaines personnes brillent particulièrement par ce côté là et tant mieux, je ne suis pas complètement fermée non plus. J’ai eu fait quelques conférences techniques et participé à des tables rondes mais aujourd’hui j’ai plus envie de dépenser mon précieux temps sur des réalisations concrètes et l’apprentissage toujours plus pointu techniquement. En résumé: j’ai envie d’étoffer mon profil GitHub bien plus que d’étoffer mon profil YouTube.