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Elodie Guiu, responsable de l’accompagnement à la transformation numérique, La Poste Groupe.
Je suis experte en conduite du changement, expertise développée tout au long de ma carrière dans deux entreprises distinctes : SAGEM (devenu ensuite le groupe SAFRAN), pour mon début de carrière, puis le groupe La Poste depuis une quinzaine d’années. J’ai exercé cette expertise dans différents domaines : celui de la qualité et de l’environnement dans mes 1re années professionnelles, puis en accompagnement de collectifs, en RH, en communication et aujourd’hui dans le numérique.
En quelques mots, quel est ton rôle chez La Poste Groupe ?
Aujourd’hui, au sein de La Poste Groupe, je suis en charge de l’accompagnement du changement autour de la transformation numérique. Faire en sorte que chaque postier soit – en quelque sorte – « augmenté » du numérique. Qu’il se sente à l’aise par rapport aux nouveaux outils, que cela lui simplifie la vie et l’aide à baisser sa charge mentale. Je travaille en particulier sur la cible des managers, sur le travail hybride ou encore à promouvoir un numérique plus éthique, plus inclusif et plus frugal. Je conçois des dispositifs d’accompagnement, en déploie, accompagne de manière très concrète et opérationnelle des collectifs ou des individus, et contribue fortement à faire vivre les réseaux sociaux internes sur ces sujets, en veillant à la capitalisation et la circulation des savoirs et savoir-faire sur ces sujets
Quel a été ton parcours ?
Je suis ingénieure de formation ; j’ai choisi ce cursus car j’étais très bonne élève et – pour être honnête – je ne savais pas du tout ce que je voulais faire. Alors j’ai choisi la voie qui me permettait de ne pas faire de choix tout de suite, de laisser le plus de portes ouvertes. Je ne le regrette pas 😊 Après … si on creuse un peu … ma spécialité d’ingénieure peut faire sourire pour qui me connait un peu. J’ai fait une école d’ingénieur en physique fondamentale, très orienté recherches ; la majorité de mes copains de promo ont intégré le CEA et le CNRS … dans des disciplines où franchement, je n’ai jamais rien compris ! Moi, je voulais intégrer l’industrie, je voulais du concret. C’est pour cette raison que j’ai choisi des entreprises qui fabriquaient des choses très concrètes : un stage de fin d’études chez Hucthinson Spontex, où j’ai contribué à mettre au point un nouveau process pour fabriquer des éponges, puis j’ai intégré le groupe SAGEM, pour travailler sur des produits télécom (les premiers téléphones mobiles) et automobile (des tableaux de bord). Après 7 ans au sein du groupe SAGEM, où je ne trouvais pas vraiment ma place en terme de projection (très peu de femmes dans cette entreprise), mon mari a fait une mobilité professionnelle sur Lyon (nous étions en région parisienne), je l’ai suivi, ai bénéficié d’un accompagnement d’outplacement pour retrouver du travail et ai intégré au bout de quelques mois le groupe La Poste, que je n’ai pas quitté depuis.
Mon patron de l’époque a proposé de m’embaucher en me disant qu’aucune autre entreprise ne se transformerait comme le groupe La Poste et que je pouvais choisir d’embarquer dans l’aventure, en tant que consultante interne, ou de rester sur le quai. J’ai choisi d’embarquer et ne le regrette pas une seconde depuis !
Qu’est ce que ça évoque pour toi le concept du rôle modèle dans l’IT ? Et vis à vis de l’égalité ?
J’ai vécu de plein fouet l’absence de rôle modèle, dans mes études d’ingénieur déjà où nous étions 15% de filles, puis quand j’ai intégré la SAGEM où le nombre de managers et de dirigeantes se comptaient sur les doigts d’une main. Moi qui ai eu des enfants très jeune (26 et 28 ans pour les deux 1er, puis 33 pour ma 3ème) et qui a un mari qui a fait les mêmes études que moi, j’avais besoin d’avoir des femmes autour de moi pour m’inspirer, et je n’en trouvais aucune.
En intégrant le groupe La Poste, la tendance s’est tout de suite inversée et j’ai pu voir que je pourrais assumer la carrière que je souhaite, sans entrave du fait de mon genre. L’égalité était en route.
Maintenant que je travaille sur les sujets de l’accompagnement du numérique, et notamment sur la question du numérique responsable, pour un numérique plus éthique, plus inclusif et plus frugal, je mesure encore plus le besoin indispensable d’avoir des femmes dans ces domaines, pour ne pas reproduire les biais de société qui nous pénalisent depuis des années. Petit clin d’œil à l’égalité : j’ai organisé il y a quelques semaines une table ronde d’experts autour du numérique, de la Data et de l’IA. Nous n’étions que des femmes ! Quel plaisir 😊
Quelles compétences sont essentielles pour réussir en tant que responsable de l’accompagnement à la transformation numérique chez La Poste Groupe.?
Pour conduire le changement, quelque soit le domaine (je l’ai fait sur des sujets très différents les uns des autres), il faut de l’ouverture, de la curiosité, une appétence à écouter et comprendre les autres ; il faut également de l’assertivité. Des compétences en communication (savoir vendre son sujet, le porter, le promouvoir, sous toutes ses formes) et en pédagogie. Il faut de la méthode de travail, et savoir mettre du process là où c’est nécessaire, notamment pour capitaliser les connaissances. La partie technique de mon travail reste – de mon point de vue – limitée (du point de vue de personnes qui ne maitrisent pas le numérique, ils vous diront que je suis une très grande experte … l’expertise est toujours toute relative !) Mais bien entendu, il faut être à l’aise avec les outils informatiques, sans pour autant savoir développer ; ce n’est pas du tout le sujet de mon travail aujourd’hui
Peux-tu nous donner un exemple de défi dans ta carrière que tu as relevé avec succès ?
Choisir un défi en particulier ? Pas évident … Je parlerais peut-être d’une des dernières thématiques que j’ai portées, celle de promouvoir en interne de notre groupe un numérique éthique, inclusif et frugal. Des équipes IT portent le sujet vers les DSI, en particulier ; mon propre défi : intéresser le « postier lambda » à ces sujets et l’aider à comprendre qu’il peut agir, tant dans le champ professionnel que personnel. J’ai monté un dispositif très complet, basé sur des ateliers de sensibilisation que nous démultiplions à nos ambassadeurs numériques, sous forme de jeu. Un atelier d’1h30 qui permet d’appréhender le sujet dans ses grandes lignes puis de passer à l’action. J’ai capitaliser ce savoir à travers un espace très complet au sein de notre intranet, j’anime une communauté interne sur ce sujet et j’ai créé des modules ludiques, gamifiés, sur la frugalité et sur l’hyperconnexion. 9 mois de gestation pour arriver à tout cela ! Un sacré défi que je suis fière d’avoir relevé.
Y’a-t-il des stéréotypes de genre dans ton métier ? Si oui comment les gères-tu ?
Des stéréotypes de genre dans mon métier, il y en a, comme partout, mais ils ne sont pas si marqués que cela car je suis aux bornes de la partie très techniques. Et que conduire le changement fait appel à des compétences qu’on aura tendance à juger comme étant plus féminines (communication / formation). Ce qui relèvent de stéréotypes tout de même 😊 Je gère ces sujets en me documentant énormément sur ces sujets, en tant que professionnelle, que femme, que mère, que citoyenne. Je lis beaucoup et suis très engagée pour partager ces contenus, en externe ou en interne de ma société, où j’ai intégré un réseau parité, le réseau Un.e, où je suis très active. Un des sujets qui me tient à cœur sur ces thèmes, c’est celui du sexisme ordinaire. Nous sommes signataire de l’opération #StOpE sexisme et je suis très active sur ces sujets.
As-tu vécu, ou une de vos proches a vécu, une discrimination de genre au cours de ta/sa carrière ? et comment cela se présente-t-il ?
Oh mais oui ! Tout au long de ma carrière. Pour mon salaire d’embauche d’abord, puis pour ma progression salariale. Cette manager que j’avais à la naissance de mon 3e enfant qui m’a expliqué que je n’avais pas d’augmentation parce que j’avais été en congés maternité (c’est depuis interdit au sein de notre entreprise), cette autre dirigeante, DRH de surcroit, qui m’avait dit que le problème de ma candidature, c’était mes enfants ! Une honte ! Ce qui veut dire que même dans une entreprise où la parité est promue à tous les étages, ce genre de faute managériale reste possible. 10 ans après cette remarque, je garde une colère certaine que cela soit possible et soit dit.
A ton avis quelles compétences sont nécessaires pour être une bonne manager d’équipe ?
Savoir donner du sens, développer ses coéquipiers, porter l’innovation, piloter, avoir le sens client et le sens du résultat, savoir coopérer, au sein de son équipe et au-delà.
Quel message as-tu pour les itWomen qui aspirent à rejoindre un poste de direction ou le poste que tu occupes ?
De prendre conscience de ce dont elles ont vraiment envie, de se lancer, d’oser, d’être soi.
Comment perçois-tu l’évolution de la diversité des genres dans la tech ?
C’est un sujet sur lequel il ne faut pas lâcher les efforts, jamais. Cela passe dès l’école élémentaire où les filles et garçons rentrent au CP avec le même niveau en sciences et, à la sortie du CM2, le niveau a déjà glissé pour les filles, vers le bas. La faute à énormément de facteurs, dont celui de la représentation dans les ouvrages scolaires, aux consignes données dans les exercices, aux postures inconscientes des professeurs et aux images véhiculées par les médias.
C’est un sujet de société à part entière qui n’est pas du tout pris au bon niveau, notamment sur le sexisme ordinaire qui se traduit, à son plus haut niveau, par les violences faites aux femmes. 1 femme sur 3 est concerné dans sa vie. Cela peut semblé être un sujet loin de celui de la diversité des genres dans la tech mais vraiment, pour moi, tout est lié. C’est un système.
Comment perçois-tu l’évolution de la diversité des genres dans ton poste ?
Dans mon équipe, il y a plus de femmes que d’hommes, le sujet n’est pas présent chez nous.
Comment intègres-tu la diversité des genres dans tes interactions professionnelles ?
Dans tous les sujets que je traite, je garde un œil, un filtre, un regard « diversité » pour être certaine de continuer à le porter à tous les niveaux. Par exemple dans les tables rondes organisées, dans les communications faites, j’ai le souci d’avoir une diversité bien représentée, et pas pour une représentation « pot de fleur » ou « passe plat » !
Je parle énormément de ces sujets en interne et en externe, sans relâche, quitte à passer pour la féministe de service. C’est une question pour moi d’évolutions sociétales majeures sur lesquelles nous devons toutes et tous être impliqués. Je regrette beaucoup que peu d’hommes investissent ces sujets, et qu’ils aient souvent la tentation des arguments du type « not all men », « pas moi » …
Si tu devais donner une piste pour atteindre l’égalité professionnelle ?
Egalité salariale, quota pour atteindre la parité, 0 tolérance pour le sexisme ordinaire et actions dès l’école maternelle pour une société plus inclusive. Sur ce sujet, cela passe aussi par le fait que les hommes assument leur paternité et les devoirs associés, notamment sur la répartition des taches domestiques. L’égalité professionnelle est difficilement atteignable sans l’égalité en dehors, dans les foyers.
A ton avis de quoi ont besoin les femmes pour briser le plafond de verre ?
Avant tout que les hommes prennent leur part du travail domestique, à la maison et avec les enfants, permettant un vrai équilibre des charges entre les hommes et les femmes et libérant du temps (réel ou du temps de charge mentale) pour développer sa carrière.
Que les dirigeants soient vraiment formés à leurs biais de genre.
Qu’on dise définitivement non au sexisme.
Que les process RH garantissent cette promotion.
J’aimerais qu’on ne parle plus du besoin des femmes de « briser le plafond de verre » : est-ce encore à nous d’agir ? Vous imaginez le danger de « briser un plafond de verre » : comment peut-on très concrètement ne pas être blessé quand on brise un plafond de verre ? Combien d’éclats vont retomber, pour vous blesser en surface ou pour vous blesser en profondeur ?
J’aimerais tellement qu’on parle pour de vrai du rôle des hommes dans tout cela. C’est aux hommes de briser leur plancher de verre pour laisser de la place aux femmes. Mais en faisant cela, ils devront partager avec 2 fois plus de personnes les postes. Quel homme a envie spontanément de faire cela ? Celui qui a vraiment été accompagné, formé, pour l’aider à déconstruire des millénaires de patriarcat et d’invisibilisation des femmes. Cela demande à ces hommes un véritable effort, une forme d’abnégation et de renoncement. Car vraiment, qui a envie spontanément de quitter une position de domination ? Cela me questionne profondément et j’observe avec beaucoup d’intérêts ce que font les nouvelles générations sur ces sujets. Mais les résultats de cette nouvelle génération m’inquiètent beaucoup, notamment par rapport au sexisme ; le dernier rapport du Haut Conseil à l’égalité : https://www.haut-conseil-egalite.gouv.fr/stereotypes-et-roles-sociaux/travaux-du-hce/article/rapport-2023-sur-l-etat-du-sexisme-en-france-le-sexisme-perdure-et-ses Quels enseignements de ce rapport :
- Le sexisme ne recule pas en France. Au contraire, il perdure et ses manifestations les plus violentes s’aggravent.
- Parmi les hommes de 25 à 34 ans, près d’un quart estime qu’il faut parfois être violent pour se faire respecter, et tous âges confondus 40% trouvent normal que les femmes s’arrêtent de travailler pour s’occuper de leurs enfants. En ce qui concerne les femmes, 80% estiment être moins bien traitées que les hommes en raison de leur sexe et 37% disent avoir déjà subi des rapports sexuels non-consentis.