Présentes toi
Emmanuelle Aboaf, ingénieure E&D et sourde de naissance et appareillée de deux implants cochléaires, bionique, ingénieure E&D, conférencière, militante en faveur de l’accessibilité et des femmes et des personnes handicapées dans la tech.
En quelques mots, quel est ton rôle chez SHODO ?
Je suis développeuse fullstack Angular C#.NET avec une spécialisation sur l’accessibilité numérique chez SHODO.
Quel a été ton parcours ?
J’ai fait un baccalauréat STT Informatique de Gestion option développeur suivi d’un BTS Informatique de Gestion. Par la suite, j’ai fait des études d’ingénieure en informatique pour avoir un diplôme d’ingénieure d’études et de développement.
J’ai commencé à travailler en 2012, cela fait donc 12 ans que je suis dans la tech. J’ai commencé en tant que développeuse back en C# .NET. Puis quand j’ai fait la formation sur l’accessibilité numérique chez Access42 en 2018, je me suis petit à petit spécialisée dans l’accessibilité numérique et commencé à travailler côté front. Aujourd’hui, je suis aussi bien à l’aise côté front que côté back. Mon stack préféré est Angular côté front et C# côté back.
Comment géres-tu les stéréotypes de genre dans l’IT ?
Pendant longtemps, j’ai été la seule femme de l’équipe et aussi la seule sourde. Ce n’était pas facile à gérer car il me fallait faire à chaque fois mes preuves prouvant mes compétences professionnelles étant une femme et sourde.
J’ai parfois mal vécu d’être la seule femme même si j’avais des collègues masculins très ouverts. Mais depuis que je suis entrée en contact avec d’autres femmes dans la tech il y a deux ans, je me sens bien mieux car j’ai découvert que d’autres femmes avaient rencontré les mêmes problématiques que moi.
Depuis que j’ai intégré SHODO, je me sens beaucoup mieux car je ne suis plus toute seule. Nous sommes plusieurs développeuses chez SHODO. C’était la première fois que je suis entourée de développeuses et je sais que je peux compter sur elles pour avoir des conseils. Bien sûr, je n’écarte pas du tout les conseils de mes collègues masculins. C’est bien de pouvoir s’appuyer à la fois sur des collègues masculins ET féminins.
Quels outils ou langages de programmation recommandes-tu pour ceux et celles qui débutent dans ton domaine d’expertise ?
J’ai débuté en apprenant le C# à l’école et c’était le langage de programmation dont je me sentais le plus à l’aise. J’avais appris le PHP et Java mais je n’étais pas du tout à l’aise avec ces langages.
Pendant très longtemps, je n’ai pas été à l’aise en JavaScript jusqu’à ce que j’apprenne le TypeScript. Comme le TypeScript est très orienté objet, j’ai repris le plaisir à travailler ensuite en JavaScript parce que j’avais enfin compris comment ça fonctionnait.
Ce que je recommande, c’est de choisir le langage de programmation dont vous vous sentez le plus à l’aise. Car si vous ne l’êtes pas, ça va vous sembler une corvée. C’est important de programmer avec un langage que vous appréciez.
Il y a une multitude de langages, testez jusqu’à ce que vous l’appréciez !
Quel message as-tu pour les filles/femmes qui aspirent à rejoindre la tech malgré les stéréotypes ?
A l’école, on m’a dit que je ne pouvais pas faire des études d’ingénieure à cause de ma surdité. Pour les profs, avant d’être une femme, j’étais mon handicap et les personnes handicapées ne peuvent pas faire des études.
C’était certes difficile, mais j’ai réussi ! Les personnes handicapées peuvent faire des études et rejoindre la tech. Si vous êtes une femme et si vous êtes aussi concernée par le handicap, vous êtes capables ! Il y a des aménagements à mettre en place si besoin pour pouvoir suivre les cours et c’est possible !
On manque cruellement de femmes dans la tech, on manque également des personnes handicapées dans la tech et aussi d’autres personnes issues d’autres minorités. La tech doit être diversifiée.
Comment perçois-tu l’évolution de la diversité des genres dans la tech ?
Ça avance. Doucement mais sûrement. On a besoin d’un large panel de diversité pour que la population soit représentative dans la tech. Après tout, 50% de la population sont des femmes. Il est inconcevable de construire l’avenir de la tech sans les femmes.
Même chose pour le handicap. Selon World Health Organisation, 16% de la population mondiale est concernée par le handicap. Si nous créons des produits qui ont pour but d’améliorer le quotidien des personnes handicapées, ça n’a pas de sens de les créer sans elles. Il nous faut aussi des personnes handicapées dans la tech.
Si nous ne le faisons pas, cela va engendrer des inégalités. C’est déjà le cas avec l’intelligence artificielle qui se trouve biaisée parce qu’elle n’a pas suffisamment d’échantillons représentatifs.
Comment encourages-tu les étudiantes / femmes en reconversion dans la tech ?
J’encourage les étudiantes et les femmes en reconversion professionnelle à entrer dans la tech. C’est un secteur très riche et évolutif. Il y a de la place pour tout le monde y compris pour les femmes.
Certes, c’est encore un secteur assez machiste mais si les femmes sont de plus en plus nombreuses dans la tech, la diversité deviendra normale et les femmes seront plus acceptées.
N’oublions pas qu’avant que le secteur devienne exclusivement masculin, les femmes dans les années 50 étaient pionnières dans la tech. Vous avez votre place et vous n’êtes plus toutes seules. Il y a de plus en plus d’associations féministes et de conférences en non-mixité choisies pour encourager les femmes à prendre la parole sur les sujets techniques de la tech. Si vous avez besoin d’être accompagnée, nous pouvons vous aider.
Comment vois-tu l’avenir de l’informatique et le rôle des femmes dans cette évolution ?
Je suis optimiste. L’industrie ne peut pas évoluer sans les femmes et sans les minorités. Il faut davantage de rôles modèles, c’est pourquoi j’ai intégré YEESO pour montrer qu’il existe des profils diversifiées dans la tech.
Pendant longtemps, j’ai manqué de rôle modèle. Si j’avais eu un rôle modèle plus tôt, je me serais sentie moins seule.
Quel est l’importance de ton métier dans le monde moderne, selon toi ?
Cela fait une dizaine d’années que je suis dans la tech et j’ai toujours quelque chose à apprendre. C’est toute la richesse de mon métier. Ce n’est pas parce que vous êtes experte que vous savez tout. On ne peut pas tout savoir. La tech évolue vite et il faut savoir s’adapter. Accepter d’apprendre de nouvelles choses et accepter de savoir qu’on ne sait pas tout.
Quels sont les défis que tu as rencontrés en tant que femme dans un domaine masculin et comment les as-tu surmontés ?
Le moment qui m’a le plus marqué, c’est quand j’ai posé une question, le collègue masculin m’avait regardé de haut en disant “quoi, tu ne sais pas ça ?”
Il m’avait expliqué ensuite mais je n’avais toujours pas compris. Je m’étais sentie incompétente et je me demandais si j’avais réellement ma place. Pendant un moment, je n’avais pas posé de questions mais ça me démangeait tellement que j’ai fini par me dire que je ne pouvais pas rester comme ça. J’avais décidé de ne pas prendre en compte les remarques de mes collègues tant qu’on me disait que je faisais bien mon travail.
Autre point, je ne supporte pas qu’on réécrive mon code sans me le dire et sans m’expliquer. Il est important pour moi qu’on me fasse des feedbacks et qu’on m’explique les erreurs que j’ai faites ou pourquoi ça ne convient pas.Ainsi, on peut provoquer un débat et cela donne l’opportunité à chacun et chacune de s’exprimer et d’expliquer pourquoi tel ou tel code a été écrit ainsi. Même nous codons en solo, nous travaillons en équipe et donc il faut agir en équipe. Si une personne de l’équipe se la joue solo, je n’hésite plus à le faire remarquer.
Peux-tu partager des initiatives visant à promouvoir la diversité dans la tech auxquelles tu as contribué ?
Je crois que par ma présence, en donnant des conférences, je contribue à montrer qu’en tant que femme et sourde, la diversité est possible.
Plusieurs personnes sont venues me voir en me disant qu’elles étaient contentes de voir qu’il y avait une personne sourde qui prenait la parole publiquement pour parler tech et qu’elles pouvaient s’y identifier. Cela leur donnait une impulsion qu’elles n’avaient pas jusque là. Cela leur donne une légitimité du fait qu’elles ont leur place dans l’industrie.
Mine de rien, c’est déjà énorme.
Sinon techniquement, je parle beaucoup d’accessibilité numérique et d’intelligence artificielle au service de l’accessibilité. Il y a encore trop peu de sites web qui sont accessibles aux personnes handicapées. En sensibilisant les gens avec bienveillance, nous pouvons avoir un impact sur les futurs projets qui se jouent. C’est important de leur expliquer pourquoi il est important de mettre en place l’accessibilité dès le début du projet.
Te vois-tu toujours dans la tech dans 5 ans ?
Oui, j’adore développer. Les pratiques dans la tech évolueront sûrement notamment avec l’arrivée de l’intelligence artificielle. La tech a toujours évolué et il faut savoir s’adapter. Pour cela, il est important de faire de la veille et de continuer à apprendre, à se former.
Quel poste souhaites-tu occuper dans 10 ans ?
J’aimerais travailler en tant que CAO (Chief Accessibility Officer) comme Jenny Lay-Flurrie qui est CAO chez Microsoft. Jenny est également sourde comme moi. Quand je l’ai découverte il y a quelques années, j’ai réalisé que je souhaiterais un jour être CAO comme elle. Promouvoir l’inclusion et l’accessibilité dans la tech.
Prends-tu déjà la parole sur de sujet tech / digital ? Si non souhaites-tu passer à l’action ?
Depuis deux ans, je n’hésite plus à prendre la parole sur les sujets d’inclusion et de diversité notamment en faveur des femmes et en particulier des personnes handicapées.