Présente-toi
Angélique Jard Henry, développeuse depuis 2006 diplômée de Polytech’Grenoble.
Membre organisatrice de Duchess France www.duchess-france.fr une association destinée à valoriser et promouvoir les développeuses et les femmes avec des profils technique
Animatrice de MixTeen https://mixteen.org/ une association d’apprentissage du code aux enfants
Maman de deux garçons très énergivores, en cours d’apprentissage de mes propres limites de maman.
Bassiste dans un groupe pop/rock “TaffBreak”
Éleveuse de tomates à mes heures perdues et par conséquent avec une conscience accrue de la météo, du climat et plus particulièrement des périodes de canicule et de sécheresse: vous m’entendrez sauter de joie quand il pleut.
Féministe par la force des choses, je l’assume que depuis que j’ai compris que la définition c’était la lutte pour l’égalité des genres. Sujet auquel je me suis intéressée à la fois parce que c’est ce qui est attendu des développeuses par leurs collègues masculins et que t’as pas vraiment le choix… et aussi pour comprendre les injustices rencontrées. J’ai grand plaisir à débattre du sujet avec les consciences éveillées, je n’ai par contre pas l’énergie nécessaire pour débattre avec les diversito-sceptiques.
Convaincue des bienfaits de l’Open Source pour notre industrie et au delà, contributrice à Jenkins et organisatrice de la communauté de contributrices au site Duchess France
En quelques mots, quel est ton rôle aujourd’hui ?
Je suis en train de changer d’entreprise, dans tous les cas je suis “Software Engineer” travaillant en full remote depuis mon domicile ou un espace de coworking. Je développe, conçoit et fait la maintenance d’applications en production. En général je participe aussi pas mal à l’outillage autour du développement et de la production: intégration continue, déploiement continue, tableau de bord des métriques de production, tests de performance. De par mon expérience senior voir très senior, j’aime aussi accompagner les juniors dans leur progression technique et professionnelle.
Quel a été ton parcours ?
J’ai commencé mon orientation en seconde, à Narbonne, en prenant un bac S et une option facultative “Informatique”. A partir de ce moment, j’ai basculé dans un environnement massivement masculin. Je me rappelle qu’on était que 3 filles, et que pour le sport comme c’était non mixte on était regroupées avec des classes très féminines dont je ne connaissais personne.
Puis j’ai continué dans la lancée avec un bac S Option Technologie Industrielle (qui s’est ensuite appelé “Sciences de l’Ingénieur”) je crois que ma matière préférée alors c’était l’automatisme, et les diagrammes d’état ou alors la mécanique quand il fallait dessiner les pièces en 3 dimensions. Au moment de l’orientation post bac, je voulais rapidement “gagner ma vie toute seule”. Du coup, les conseils de mon prof de physique/chimie qui me disait d’aller “en prépa” m’ont paru très flous à cette époque et être ingénieure me paraissait totalement inatteignable, c’était pour des gens bien plus intelligents ! Je me suis plutôt inscrite en IUT d’informatique à Montpellier avec l’idée de continuer les arts du spectacle en loisir en parallèle 🤹.
A l’IUT j’ai découvert l’informatique sous le capot et je me suis régalée, j’avais de très bonnes notes sans pour autant être major de promo. J’ai eu une chance incroyable de côtoyer des personnes en reconversion qui suivaient le cursus de l’IUT via l’ANPE et qui ont été de très bon conseils: Ils m’ont conseillé de continuer vu mes notes et de tenter des écoles d’Ingénieur tant que j’étais dans la lancée des études. J’ai donc postulé à l’INSA de Toulouse, Polytech’Montpellier et découvrant le réseau Polytech, j’ai aussi postulé à Polytech’Grenoble dont le programme me plaisait vraiment beaucoup. Mon expérience de l’INSA de Toulouse a été catastrophique: on s’est perdu sur le périphérique et je suis arrivée avec plus d’une heure de retard pour l’écrit. Sans surprise je n’ai pas été prise :D. Polytech’Montpellier j’ai été prise assez rapidement sur dossier, mais comme je préférais le contenu de Polytech’Grenoble j’ai passé l’entretien et attendu… jusqu’au 29 août où j’ai eu la place pour une rentrée au 3 ou 4 septembre !
Le premier mois j’ai cru que je m’étais trompée et que je n’allais pas pouvoir suivre, le professeurs de mathématiques qui était censé faire une mise à niveau, nous à balancé un programme de prépa auquel je n’avais aucune notion dans mes bagages. Et quand des camarades lui ont demandé de ré-expliquer, il a demandé qui n’avait pas fait prépa – un petit tiers de l’assemblée– il s’est fendu d’un air totalement hautain et nous a dit: “Vous trouvez que ça va trop vite ? Alors accrochez vous parce que ça va aller encore plus vite !”
Heureusement c’est vite passé à la logique et à l’informatique et de nouveau j’ai eu de très bonnes notes, voire même de meilleures notes que la plupart des personnes issues de prépa…. Petite revanche personnelle. C’était dense en horaires et en travail personnel, mais j’y ai rencontré des personnes avec qui on a tissé des liens très forts, dont un que j’ai épousé quelques années plus tard 😉
Mon diplôme d’Ingénieur en poche, j’ai cherché du travail pendant “l’éclatement de la bulle Internet”. L’entreprise dans laquelle j’avais fait mon stage voulait m’embaucher, mais à un salaire tellement bas pour un diplôme d’Ingénieur qu’après une longue hésitation j’ai refusé . Et finalement j’ai trouvé un poste chez Worldline à Lyon: avec mon mari nous avons fait nos bagages, rempli la twingo de cartons et quitté Grenoble pour Lyon.
Je suis restée 12 ans chez Worldline, j’ai essayé pas mal de choses du développement mobile au script perl en faisant un petit crochet par la gestion de projet pour terminer au poste « d’architecte de production » c’est à dire d’experte technique transverse sur un département. J’aime à dire que dans cette entreprise j’y ai fait plus de projets que d’années. J’ai développé la première version iPhone d’une banque Française très célèbre, puis j’ai fait une pause de 3 mois de congés maternité pour revenir développer la même application sur Andoid. J’ai eu l’occasion de participer à des grands projets grand public à très forte affluence en faisant de la big data avant que le mot ne soit inventé. J’ai aussi participé à des projets très sécurisés avec chiffrement et durant lesquels j’ai pu découvrir des protocoles assez rare comme le principe de cérémonie des clefs. Worldline c’est une entreprise dont le slogan était “build and run” c’est-à-dire une entreprise dans laquelle les développeurs sont aussi mainteneurs de la production, et je crois que c’est un équilibre qui me correspond très bien. Je suis du genre à aimer réparer les choses, que ce soient des fuites mémoire ou des problèmes de performances ou encore des failles de sécurité, tout en aimant aussi coder des nouvelles fonctionnalités. J’ai rencontré des personnes qui ont boosté ma carrière, qui ont vu en moi de l’expertise technique au moment où je ne l’envisageait pas. J’ai fait partie de la filière expert de Wordline, puis animé pendant quelques années un “labs” c’est-à dire un temps libre pour les développeuses et développeurs qui le souhaitent pour créer des outils ou s’autoformer en dehors de projets clients. Worldline m’a aussi permise de découvrir l’univers des conférences en France et au delà comme Devoxx Anvers ou MiXiT. En fin de parcours chez Worldline j’étais l’experte technique pour tout un département, c’est à dire 3 à 4 équipes de développement. Garante de la mise en place des projets, de la qualité et de la qualité de la production, ce qui s’accompagne aussi de la formation et l’accompagnement des développeurs et développeurs dans les équipes.
J’ai depuis longtemps une curiosité et une forte attirance pour l’Open Source. Mon PC personnel est sur Linux depuis l’IUT, j’ai imaginé un moment contribuer à Tux Guitar mais sans vraiment y arriver. Donc quand j’ai deux amis qui ont toqué à la porte en me demandant si ça me dirait de contribuer à l’écosystème Jenkins en rejoignant CloudBees mon coeur a bondi. La contribution Open Source ça m’avait toujours intriguée et attirée mais je suis du genre à aimer le grand air, et le weekend j’ai besoin de sortir voir la nature et faire des trucs fun. Et puis je suis maman de deux enfants, j’ai été maman relativement tôt pour a catégories socioprofessionnelle et jusque très récemment je n’avais pas plus d’une demi heure de tranquillité à gauche et à droite: à peine le temps d’allumer un pc, et alors comment coder quand on est interrompue toutes les 5 minutes par des cris ou des demandes ? Donc cette possibilité de faire de l’Open Source et de découvrir cet univers mystérieux sur les heures de travail a vraiment été une belle aventure ! J’ai principalement travaillé sur des plugins propriétaires de Jenkins, mais j’ai pu aussi faire de belles contributions Open Source dans le cœur même de Jenkins dont je suis très fière. J’y ai aussi découvert le fonctionnement d’une communauté Open Source, j’y ai rencontré des développeurs et collègues brillants et attentionnés qui m’ont permis de grandir et de traverser des tempêtes. J’y ai croisée aussi une Product Owner formidable, un nouveau rôle modèle pour moi dans l’engagement féministe et anti raciste.
En bonus, grâce à la communauté active de Jenkins j’ai eu l’honneur de participer à SheCodeAfrica https://shecodeafrica.org/ et faire du support technique aux femmes africaines qui ont participé au programme pour faire des contributions à Jenkins. Encore une fois sur mes heures de travail, sinon je n’aurais clairement pas pu le faire.
En démarrant avec CloudBees, j’ai aussi basculé dans le full remote 6 mois avant le Covid: j’y avais posément réfléchi, et sauté le pas à ce moment-là. Et je dois dire que depuis je n’ai absolument aucune envie de retourner 100% bureau à Lyon ! Il faut dire que j’habite à 30 kilomètres et que les bouchons de l’autoroute ne me manquent pas du tout, pas plus que les TER bondés qui terminent leur service trop tôt pour me permettre pas de rentrer chez moi après un afterwork. A noter que travailler en full remote ne veut pas forcément dire travailler à 100% du domicile, je vais régulièrement dans un espace de coworking à 10min de chez moi.
Et aujourd’hui je suis sur le point de démarrer une nouvelle aventure Open Source, j’espère que ça va bien se passer 🤞🤞 !
Quelles compétences techniques sont essentielles pour réussir en tant que ”Software Engineer” ?
Git est indispensable. Que vous soyez développeuse ou ingénieure système et réseaux ou encore que vous écriviez la documentation technique.
J’aime comparer l’informatique à la médecine car ça parle à tout le monde. En médecine il y a les spécialistes qui sont très expert dans un domaine, comme chirurgien des genoux, et il y a les médecins généralistes qui ont une connaissance plus globale mais moins approfondie et qui font le lien entre les différentes expertises. Je me considère comme une médecin généraliste de l’informatique.
Par conséquent, comme je suis plutôt en expertise transversale, j’ai tout plein d’outils dans ma sacoche. En voici quelques uns: j’ai fait principalement du Java / Spring en développement côté serveur, je manipule beaucoup Docker et plus récemment j’ai beaucoup approfondi Kubernetes. Je navigue aisément en ligne de commande linux et utilise grep régulièrement, vi quotidiennement et awk de façon ponctuelle. Et côté front-end j’ai fait principalement du backbonejs et un peu d’emberjs.
Pouvez-vous nous donner un exemple de défi technique que vous avez relevé avec succès ?
Dans une de mes missions, on avait un formulaire d’une 20aine de champs par lequel on passait régulièrement pour réaliser nos tests, et il était tellement pas accessible que même en tant que personne valide, on mettait plus d’une demie heure pour réussir à le remplir. Les erreurs n’étaient signalé que par le bouton de validation qui était désactivé, il n’y avait pas d’explication de formatage pour les champs comme le numéro de téléphone, ou le mail, et j’en passe.
J’ai eu à le rendre accessible après un audit d’accessibilité sur le projet, c’était difficile, long, laborieux, mais à la fin, remplir ce formulaire nous prenait plus que 5 minutes ! J’ai pris conscience en le faisant que l’accessibilité, ce n’est pas seulement rendre le produit accessible à toustes, mais aussi le rendre plus confortable pour celleux qui l’utilisent déjà.
Comment géres-tu les stéréotypes de genre dans l’IT ?
Je suis un contre exemple vivant de certains stéréotypes qui existent. Avant, quand on m’attribuait des tâches comme “le sav” parce que les femmes sont plus douces avec les clients, je riais nerveusement, et n’osait pas trop l’ouvrir. Aujourd’hui, je n’hésite plus à dire quand quelque chose ne me plait pas, je verbalise que je ne correspond pas à ce cliché, j’explique pourquoi ce n’est pas ok de le présumer.
Ça ne plait pas toujours, mais ça doit être dit, on ne peut plus se taire, les mentalités doivent changer, et ça ne se fera qu’en communiquant.
Quel message as-tu pour les filles/femmes qui aspirent à rejoindre la tech malgré les stéréotypes ?
Fuck les stéréotypes, vous avez votre place tel que vous êtes ! Personne ne peut vous dire que vous n’y avez pas votre place, à part vous.
Et la personne que vous êtes apportera beaucoup à l’industrie de par votre prisme, votre vécu, vos besoins, vos aspirations.
Votre vision, si elle ne rentre pas dans le moule, permettra d’aborder des sujets avec un œil neuf, et compléter ou transformer l’idée qu’on se fait de la tech.
Vous êtes légitime, et on a besoin de vous, on a besoin de diversité, on a besoin de péter ces stéréotypes par exemple.
Comment perçois-tu l’évolution de la diversité des genres dans la tech ?
Il n’y en a pas assez ! Alors qu’on en à besoin pour éviter tous les angles morts qu’on peut avoir lorsque l’on construit un produit qui aura potentiellement un impact sur le monde et sur celleux qui l’utilisent.
comment encourages-tu les étudiantes / femmes en reconversion dans la tech ?
Ne soyez pas seule ! Il y a beaucoup de communautés, tech, mixte, non mixte, qui proposent du soutien, du mentorat, du réseautage… Elles sont bourré de personnes formidables, de rôles modèles qui s’ignorent, de personnes talentueuses, et aussi juste de personnes lambda de la tech.
Vous pouvez voir les différents témoignages de ce qu’elles ont vécu, de leur parcours, poser des questions, ou juste parler de votre situation. Parfois, ça peut vous aider à vous rendre compte que vous ne vivez pas une situation normale, et qu’il y a des solutions pour en changer.
Et vous pouvez aussi trouver de supers partenaires de travail, trouver de supers idées suite à une conversation lors d’un afterwork, d’un meetup, ou d’un échange dynamique sur un slack, voir obtenir le petit coup de pouce d’encouragement qu’il vous manquait pour vous lancer sur un projet.
Peux-tu partager des initiatives visant à promouvoir la diversité dans la tech auxquelles vous avez contribué ?
J’ai fais une conférence qui s’appelle “Comment intégrer une personne autiste en entreprise”, ou j’essaie de casser un peu les clichés tout en expliquant ce qu’est l’autisme, et comment on s’adapte à une personne autiste selon ses caractéristiques. Le petit trix, c’est que les conseils que je donne peuvent bénéficier à toustes, pas seulement les personnes autistes !
Te vois-tu toujours dans la tech dans 5 ans ?
Oui. Je ne sais pas si je serais encore développeuse, parce que les possibilités d’orientations sont nombreuses, et que j’ai envie de tout faire, peut être que je deviendrais formatrice, ou lead référente accessibilité, grain de sable professionnel, ou à plein temps dans le militantisme de l’inclusion. Quoi que je choisisse, je me plais bien dans le monde de la tech, et je suis heureuse de participer à l’améliorer à mon échelle.
Prends-tu déjà la parole sur de sujet tech / digital [conférence, interview] ? Si non souhaites-tu passer à l’action ?
Oui , j’ai fait une courte conférence sur les descriptions alternatives d’image qui s’appelle “La positive alt’itude! Un outil d’inclusion pour votre accessibilité”, j’y donne des pistes pour savoir quoi mettre dans ses alts selon le contexte, avec pour espoir que plus de personne pensent à les remplir lors de leur publication sur les réseaux, parce que les personnes malvoyantes aussi, lisent vos contenues.
J’ai plein d’autres idées de conférences et de sujet à proposer, et peut être qu’un jour, j’oserais m’atteler sans honte à un sujet parfaitement technique !